Un été pourri
Les centres de loisirs a l’épreuve
(septembre 2003)
« Au
secours, rien ne va plus, à l’aide !» : c’est, en substance, la
teneur d’un bon nombre de coups de fil que les Francas de l’interrégion ont pu
recevoir cet été, en juillet comme en août.
Que s’est-il passé dans les centres de loisirs ? Mésententes, Difficultés à communiquer au sein des équipes, entre directeurs, entre directeurs et animateurs, entre organisateurs et directeurs, on en passe et des meilleures… Et c’est plus d’une fois que nous avons dû, alertés par les uns et par les autres, jouer les « casques bleus » et aller sur place aider à résoudre les conflits que les acteurs locaux eux-même n’arrivaient même plus à arbitrer.
On
pourrait se réjouir de cette marque de confiance faite aux Francas, mais il
s’agit évidemment plutôt de rechercher les causes qui tiennent à cet « été
pourri ».
Précisons
tout de suite que les problèmes dont nous avons eu connaissance concernent en
quasi-totalité les ADULTES (jeunes et moins jeunes) du centre de loisirs :
la sécurité des enfants, la qualité des activités ne paraissent pas directement
concernées. Tant mieux. On peut malgré tout se dire que tout aurait été ENCORE
MIEUX si les adultes avaient pu prendre en charge harmonieusement leurs propres
relations.
Alors,
pourquoi ?
La
canicule (pourquoi pas ?) n’est pas en cause, car c’est dès le mois de
juillet, donc avant qu’elle ne commence vraiment, que nous avons du intervenir.
Une
première explication pourrait être de se dire que peu de choses, dans la
société moderne telle qu’elle est, prédisposent à l’apprentissage des
relations, de la gestion pacifique des points de vue différents, de la
réduction des désaccords interindividuels.
Peut-être
– de surcroît - les personnes jeunes que sont nos animateurs et bien souvent
nos directeurs aussi sont elles plus sensibles aux modèles de relations
sociales dominants proposés actuellement par les médias : hypocrisie,
dissimulation des désaccords, fuite devant les problèmes humains, voire carrément stratégies de mensonge ou de
mise en difficulté de l’autre.
Les
Francas ne se sont pas appelés « Francs et Franches Camarades »
pendant 45 ans pour rien : ils ont développé au fil de temps une profonde
aversion pour ce type de comportement, pourtant désormais valorisés par les
« grands médias » à longueur d’émissions, dont chacun a les titres en
tête[1].
Au
delà de ces facteurs individuels, peut-être faut-il aussi - et même
certainement – un effet direct d’une contradiction que l’on sent grandir
d’année en année et qui s’est approfondie d’un seul coup cet été.
D’un
côté, nous prenons acte d’exigences croissantes tant de la part des autorités
de contrôle (cf. Nouvelle règlementation, voir nos
éditions précédentes), de la population elle-même – familles et enfants eux-même
– que de la part des partenaires de référence, et particulièrement les communes
ou collectivités publiques.
Les
familles exigent une sécurité maximum, comme il se doit, et, au delà de la
satisfaction d’un besoin de garde « basique » une assurance de
qualité dans l’encadrement et dans les activités proposées.
Les
enfants et les jeunes eux-mêmes demandent toujours plus de départs éloignés, à
la journée comme à la semaine (l’effondrement des « colos » se fait
ici pleinement sentir), toujours de participation aux décisions qui sont prises
dans le centre de loisirs et sur ce point une Fédération comme les Francas ne
peut que s’en féliciter.
Quant
aux partenaires de référence, qui sont aussi les partenaires financiers des
centres de loisirs, les communes et intercommunalités pour l’essentiel, nous
les avons senti cet été particulièrement exigentes –
ce qui est une manière de relayer les exigences de la population – mais aussi
particulièrement regardantes sur les budgets et les dépenses de fonctionnement des
centres.
Cette
attention particulière aux finances publiques est à l’évidence valable pour
tous les secteurs de la vie publique en ce moment, mais notre secteur, peu
légitime, faiblement reconnu dans la plupart des cas dans les communes, est
particulièrement visé comme source d’économies possibles pour la collectivité.
Il
suffirait pourtant, dans bien des cas, que les élus locaux rapprochent le
budget d’un centre de loisirs et celui de l’entretien de la voirie (par
exemple) pour se persuader par eux-mêmes que notre secteur, à forte
« valeur ajoutée humaine » est en définitive... très
économique !
De
l’autre côté, des équipes pédagogiques constituées souvent de directeurs et
d‘animateurs occasionnels, jeunes, faiblement rémunérés[2], en
tout cas dont la rémunération n’est pas en rapport avec le temps investi, et
dont la formation n’est que ce qu’elle est selon les textes actuellement en
vigueur.
La
contradiction est donc forte entre d’une part les exigences croissantes, de
toute part, décrites et l’organisation même du secteur.
Il
en résulte quasi fatalement pour les équipes une difficulté bien réelle et bien
concrète à « faire face » à cette contradiction, ce qui évidemment
provoque des tensions de toute nature entre les acteurs locaux.
On
pourrait aussi souligner la difficulté qu’ont également nombre d’organisateurs
associatifs à assumer eux-même cette contradiction, et qui par la force des
choses laissent le directeur faire face tant bien que mal...
Peut-être
la rupture est-elle proche entre les deux termes de la contradiction...
Peut-être cet été nous sommes-nous de manière accélérée approchés de cette
rupture.
Cela
dit, quelles perspectives ? Quelles solutions ?
Au
plan pédagogique, les Francas peuvent certainement se dire qu’il est
indispensable de mieux travailler la question de l’analyse et de la résolution
des conflits au sein des stages de formation.
Un
travail en ce sens pourra être engagé par les équipes de stage elles-mêmes et
au cours même du regroupement de l’équipe régionale des formateurs.
Au
plan plus politique, les Francas peuvent alerter tous les élus locaux,
responsables associatifs et responsables des organismes financeurs sur la
contradiction décrite, partager avec eux un diagnostic et engager les mesures
correspondantes pour prévenir les futures ruptures possibles, voire probables.
Mais
que l’on ne s’y trompe pas : ou bien la collectivité publique trouve les
moyens d’assurer, de concert avec le monde associatif et les fédérations, un
véritable service public local d’accueil éducatif des enfants et des jeunes,
dans le strict respect de l’esprit d’un service public (égalité d’accès,
continuité, adaptabilité, qualité etc.) ou bien il nous faudra collectivement
reconnaître que notre pays – quatrième puissance économique mondiale ou à peu
près – n’est pas capable, en maints endroits, de prendre en charge le bien le
plus précieux de l’humanité : les enfants... ou, bien pire encore, a fait
le choix de l’économique contre l’humain.
ENCADRE
CLSH : Les grandes
tendances de l’été 2003
[1] Pourtant ces fameuses émissions peuvent-elles avoir
des effets positifs : les stagiaires animateurs osent maintenant, filles
comme garçons, CHANTER en stage (et dans les centres ?), et même en
redemandent... Effet « Star’ac »
garanti !
[2] Rappelons que, pour les organisateurs associatifs, l’annexe II de la convention collective nationale de l’animation autorise à titre dérogatoire du Code du travail le paiement miinimal de deux heures de travail, quel que soit le nombre réel d’heures travaillées dans la journées. Les Francas en Lorraine-Champagne-Ardenne incitent fortement les organisateurs associatifs à choisir plutôt une base de quatre heures minimale et prévoir une évolution de cette base, mais rien légalement ne les y contraint encore.