Quel avenir pour l’éducation populaire ?

Juin 2003

 

 

Quel avenir pour l’éducation populaire ? La question paraît légitime puisque, encore une fois, les pouvoirs publics nationaux ont déjà pris ou seulement annoncé un certain nombre de décisions qui vont singulièrement handicaper ce secteur, auquel les Francas appartiennent, dans les prochains mois.

 

Par ailleurs, depuis plus longtemps, mais de plus en plus souvent, les associations d’éducation populaire sont sommées – quelquefois fort peu courtoisement – de se mettre au service d’objectifs décidées en dehors d’elles, dans les politiques communales, départementales, ou nationales.

 

Enfin, elles sont pratiquement toujours interpellées sur leur légitimité par les pouvoirs publics : qui êtes vous ? Pourquoi prétendez vous avoir voix au chapitre ? Que représentez vous ? Pourquoi demandez vous des financements ?

 

" L'éducation populaire, c'est la démarche qui propose à tous, jeunes et moins jeunes, de s'engager, sans autre condition préalable que la volonté de le faire, pour participer à l'expression du besoin et de la demande sociale, à l'expérimentation et à la mise en œuvre de solutions et de réponses, à l'expression de l'exigence auprès de la puissance publique d'une installation des réponses adaptées ou d'une reconnaissance des réponses déjà expérimentées.

 

L'éducation populaire, c'est la démarche qui propose de faire de l'action et de la pratique un mode de construction du savoir, d'accès à une forme originale de savoir. C'est la démarche qui propose de s'engager pour agir et apprendre tout à la fois, apprendre soi-même et apprendre à d'autres.

Ainsi, l'Education Populaire considère qu'agir et apprendre sont indissociables. Elle affirme que tous, quelles que soient les difficultés à surmonter, peuvent prendre une part à l'action et progresser ainsi, pour peu que l'on diversifie les formes et les niveaux de l'engagement possible et que l'on crée les conditions d'un accompagnement de l'engagement.

 

Ce texte récent est issu du CRAJEP de Champagne-Ardenne (Comité régional des associations de jeunesse et d’éducation populaire, instance pluraliste regroupant les associations du secteur).

 

Il constitue une tentative pour rendre compréhensible la nature du projet commun au secteur de l’éducation populaire. Force est de constater que cet effort d’explication n’est pas suffisant pour se faire bien comprendre du plus grand nombre.

 

Bien sûr, il y a des raisons immédiates à ce « déficit d’image » : le projet d’éducation populaire touche aux fondements même de l’organisation sociale, à la place de l’individu et des groupes dans la société, à une conception de l’individu défini d’abord comme être social.

 

Non, à l’évidence, l’éducation populaire n’est pas « people » et ne le sera jamais, espérons-le !

 

S’expliquer en quelques mots est impossible, dans un environnement général où quelques dizaines de secondes radiodiffusées ou télévisées sont généralement octroyées au traitement de questions importantes et graves dans les grands médias.

 

De surcroît, financé à la fois par leurs « activités » s’adressant souvent à un public peu solvable, travaillant majoritairement dans le champ social ou éducatif, où personne ne veut payer « le vrai prix » de la prestation rendue, se finançant donc aussi par l’argent public, les associations d’éducation populaire ne peuvent absolument pas envisager de vastes « campagnes » d’explication sur le mode de la publicité commerciale.

 

D’autant qu’il resterait à démontrer l’efficacité de type de communication, dans la mesure où l’objectif n’est certainement pas d’atteindre dans le public  des comportements aussi simples que « achetez-moi » ou « respectez la loi ».

 

Mais au delà, il paraît clair que l’éducation populaire contrarie un certain nombre de valeurs dominantes dans la société actuelle : le règne tout puissant de l’argent, de l’individualisme forcené, de l’égoïsme social, du libéralisme économique le plus échevelé – vous savez, celui du « libre renard dans le libre poulailler ».

 

Ces valeurs dominantes s’affirment quotidiennement dans les grands médias audio-visuels qui occupent une position dominante dans l’information du grand public.

 

Pas facile de s’expliquer dans ce contexte… et d’autant plus difficile quand, de surcroît, les politiques en place, au lieu d’organiser le « savoir vivre ensemble », pactisent avec ce diable libéral qui n’a d’autre objectif que de mettre la société au service de quelques intérêts particuliers, de dresser, au final, les catégories sociales les unes contre les autres.

 

 

 

Alors, quel avenir pour l’éducation populaire ?

 

Certes, d’abord, pour les associations elle-même, continuer de d’expliquer,  d’expliquer et d’expliquer encore pour faire comprendre aux principaux responsables du « savoir vivre ensemble » à quel point son action est utile et, au total, peu coûteuse, au regard des enjeux qui traversent la société.

 

Ensuite, toujours pour les associations, trouver les moyens d’une cohésion bien supérieure à celle qui existe : dans une société démocratique et pluraliste, chacune d’entre elle devrait reconnaître toutes les autres associations comme légitime, les respecter dans leur histoire, leurs valeurs propres, leur champ d’action et territoires d’intervention, plutôt que d’endosser la vision d’un « marché » dont il faudrait être « leader ». Cette vision ne mène à rien, sauf à renier ses propres fondements en devenant une pure machine économique tournant sur elle-même, que les beaux discours sur les valeurs ne suffisent certainement pas à rendre légitime.

 

Mais l’avenir de l’éducation populaire ne dépend pas d’elle seulement, mais de la société tout entière, et notamment du secteur public et des responsables politiques.

 

D’une part l’éducation populaire imprègne de vastes domaines de la société : le social, le culturel, l’éducatif… D’autre part, son mode d’action la prédispose fortement à jouer ce rôle de « médiateur social » qui fait tant défaut aujourd’hui, où l’on perçoit très fortement les limites des grands médias à cet égard.

 

La cohésion de la société ne saurait tenir sous le seul effet des étranges lucarnes, et ne peut non plus dépendre de l’action isolée des hommes politiques de tout niveau.

 

Mais pour que l’éducation populaire puisse vivre et se développer, il faut se garder de vouloir l’instrumentaliser : elle tire en effet sa légitimité du lien qu’elle saura mettre entre des valeurs et des actes, et non d’une « mission » qu’elle hériterait du politique, qui a par ailleurs sa propre légitimité, celle du suffrage universel.

 

Il s’agit donc d’organiser cette « rencontre des légitimités » plutôt que d’asservir l’une à l’autre.

 

De cette « rencontre » découle évidemment l’attribution de financements publics dans un cadre codifié et contrôlé, mais de manière intelligente et globale, et non pas étroite et parcellaire, ce qui serait réduire les associations d’éducation populaire à de purs prestataires bon marché.

 

Tout cela suppose pour les hommes et femmes politiques, locaux comme nationaux, une approche toute particulière et il est vrai peu commune dans une société dominées par l’argent et la production économique :

 

-         concevoir la relation aux associations avec discernement, mais de manière globale, et non pas tatillonne et instrumentalisante

-         mettre au service de la démocratie les fonds publics : financer les associations, c’est aussi financer la démocratie

-         sortir d’une pure logique politicienne qui consiste à « récompenser » ou « blâmer » à coup de subventions, ce qui pourrait d’ailleurs relever de l’abus de pouvoir… Dans une société aussi diverse en effet, la première tâche du politique paraît être de rassembler, et non de diviser.

-         de résister à une administration locale ou nationale dont la tentation perpétuelle est de surinterpréter les textes (notamment ceux concernant la « mise en concurrence ») par manque d’information sur notre secteur, par l’effet d’une «peur juridique » mal instruite ou tout simplement par manque d’ouverture professionnelle.

 

Mais cela suppose aussi pour les associations, et notamment les associations d’éducation populaire

 

-         d’accepter la négociation avec la collectivité publique dès lors que de l’argent public est en cause, dans la logique du service public et de ses principaux principes – accessibilité, adaptabilité, continuité, égalité d’accès, transparence. Ces principes ne sont pas très éloignés de ceux de l’éducation populaire, d’une part, et on ne peut d’autre part vouloir une chose (l’argent public) et son contraire (l’absence de cadre commun de négociation)

-         de s’inscrire dans des processus interne et externe d’évaluation globale de sa pertinence et de son organisation sur tous les plans.

-         de trouver les moyens d’une véritable cohésion sur l’ensemble des territoires pour éviter toute incohérence, tout double emploi de l’argent public, toute rivalité qui ne pourrait être que contre-performante eu égard aux objectifs poursuivis. Voilà qui suppose aussi de sortir d’une logique purement « boutiquière » pour considérer d’abord l’intérêt public global, et celui de l’éducation populaire dans son ensemble.

 

Nous sommes loin du compte encore… mais à défaut, faudra-t-il laisser la société, désertée par les valeurs, épuisant ses mandants sous ses exigences démesurées, régler ses problèmes dans la violence de l’émeute ou sur les plateaux de télévision ?

 

Denis QUEVA

pour Francas LCA

Le Magazine des Francas

de Lorraine et de Champagne-Ardenne