Article pour Réussir, la revue des Francas
DE LA “CITOYENNETE DES MINEURS”
AUX DROITS DE PARTICIPATION
DES ENFANTS ET DES JEUNES
Texte au 27 février 2000
CITOYENNETÉ (si-to-iè-ne-té), s. f.
Néologisme. Qualité de citoyen. Comme peuple, nous ne sommes pas
préparés pour la citoyenneté américaine, E. MONTÉGUT, Rev. des
Deux-Mondes, 15 juin 1876, p. 815.
Le Littré
PARTICIPATION (par-ti-si-pa-sion ; en vers, de six
syllabes), s. f.
1° Action de participer. Elle [la religion] apprend aux justes, qu'elle
élève jusqu'à la participation de la Divinité même, qu'en ce sublime
état ils portent encore la source de toute la corruption.... PASC. Pens. XII,
11, éd. HAVET. Toutes ces idées particulières ne sont que des participations
de l'idée générale de l'infini, MALEBR. Rech. vér. III, 2e part. ch. 6. Comme
il [l'archevêque Péréfixe] était sur le point de sortir, les religieuses se
jetèrent de nouveau à ses pieds, pour le conjurer de permettre au moins
qu'elles cherchassent, dans la participation des sacrements, la seule
consolation qu'elles pouvaient trouver sur la terre, RAC. Hist. Port-Royal, 2e
partie. La raison ... puisqu'elle est un don de Dieu et une participation
de la raison souveraine, MASS. Carême, Vérité de la relig. N'admettre à la participation
des mystères que des âmes sensibles et des imaginations ardentes et fortes,
DIDER. Opin. des anc. philos. (Grecs). Sixte était en droit de refuser les
vains honneurs d'un service funèbre à Henri III, qu'il regardait comme exclu de
la participation aux prières, VOLT. Moeurs, 184.
Sans ma participation, sans que j'y aie
aucunement contribué. Ces extraits ont été imprimés dans un journal sans ma participation,
D'ALEMB. Lett. au roi de Prusse, 28 nov. 1777.
2° Terme de commerce. Société en participation, association
momentanée et ordinairement secrète, entre plusieurs négociants, avec des parts
égales ou inégales. Indépendamment des trois espèces de sociétés ci-dessus [en
nom collectif, en commandite, anonymes], la loi reconnaît les associations
commerciales en participation, Code de comm. art. 47. Ces associations
sont relatives à une ou plusieurs opérations de commerce ; elles ont lieu
pour les objets, dans les formes, avec les proportions d'intérêt et aux
conditions convenues entre les participants, ib. 48.
3° Part qu'on a prise à une affaire. Il n'a eu aucune participation
à ce complot.
4° Parmi les religieux, lettres de participation, espèce de
certificat par lequel ils rendent témoignage qu'ils font part à une personne
séculière des mérites de leurs prières et de leurs bonnes oeuvres.
Le Littré
Citoyenneté,
participation… deux notions qui ont émaillé depuis plus de 10 ans désormais le
discours des Francas.
Sont-elles
équivalentes ? Que nous indique le passage de l’une à l’autre ?
L’emploi d’un terme ou d’un autre est-il seulement une question de mots ?
UN RAPPEL : LE PROGRAMME « CITOYENNETE DES MINEURS »
La notion
de citoyenneté, et notamment de citoyenneté des mineurs, est apparue aux
Francas très fortement à partir de 1988 : c'est Pierre de Rosa, alors chargé de
mission Education, qui l'a apportée aux Francas dans un grand programme
intitulé "citoyenneté des Mineurs" et dont le terme était fixé à
1989. Ce programme était découpé en tout une série d'opérations : parmi
les principales d’une part l'opération « Cahiers de Doléances »,
menée avec l'ICEM, et qui a permis à plusieurs dizaines de milliers d'enfants
de s'exprimer dans des Cahiers de doléances, qui ont constitué à l'époque une
matière extrêmement riche, et d’autre part l'opération « citoyenneté au
quotidien », qui consistait à « injecter » de la participation
dans les activités de loisirs des enfants et des jeunes
Ce
programme était un programme d'avant-garde à plus d'un titre
L’environnement
associatif, social, politique des Francas ne parlait pas encore de citoyenneté
à l'époque... Seuls les Francas utilisaient le mot. Mais il est vrai que
quelques années après ; tout le monde s'y est mis : Fédération des Centres
sociaux (colloque sur le sujet en 1991), Ligue de l'enseignement (création du
CIDEM – pôle d’initiative « Citoyenneté et démocratie » avec la Ligue
des Droits de l'Homme), Parti socialiste (concept de « Nouvelle
citoyenneté »)... et même RATP (Fondation pour la citoyenneté)
Cette
apparition de la notion de citoyenneté – que les discours politiques n’ont
cessé depuis de célébrer - a évidemment partie liée d'une part à la crise
générale de la représentativité sociale et politique, crise elle-même liée à la
crise de civilisation qui touche l'ensemble des composantes de nos sociétés
post-industrielles et occidentales, qui se reposent la question du « pacte
social ».
Dans le
domaine socio-éducatif plus précisément, le recours à la notion peut sans doute
s’expliquer par la prise de conscience qu'il fallait sortir, à la fin des
années 1980, d'une période de "diversification"[1]
qui est en fait une période où les acteurs du monde socio-éducatif et
associatif se sont transformés en prestataires vis-à-vis de publics considérés
comme consommateurs, voire clients, et non comme acteurs, "citoyens",
ce qui a constitué comme une déviation de leur mission originale[2].
DIFFICULTE DE LA NOTION DE CITOYENNETE
En mettant
au point le programme « citoyenneté des mineurs », les Francas ont
bien sûr été conduits à préciser ce qu'ils entendaient par cette expression[3]...
Un
formidable effort devait être fourni pour plusieurs raisons.
D'abord des raisons théoriques : la notion de citoyenneté est extrêmement complexe. Comme celle de culture ou celle de laïcité, elle oblige à considérer une multitude de domaines d'application. Le conseil scientifique, dans une définition reprise par les Francas eux-mêmes, l'a défini comme « état d'appartenance à la Cité », la cité étant lui même un terme abstrait qui « recouvre en fait une superposition de communautés hétérogènes »[4] communauté d'ordre politique, économique, social, culturel…
Qui plus
est, le conseil scientifique, dans le même travail, a identifié six composantes
de la citoyenneté : civile, sociale et culturelle, économique, juridique,
politique, psychologique[5].
Abstraction
du concept de Cité recouvrant quatre aspects différents de la communauté
humaine, Abstraction du concept de citoyenneté lui-même dont il faut composer
six éléments pour reconstituer les formes qu'elle peut prendre pour l'individu
: pas facile !
Et comme
si cela ne suffisait pas, il fallait appliquer l'ensemble à l'être humain en
formation, à l'enfant, au mineur : il fallait donc penser la citoyenneté dans
une dynamique progressive d'acquisition, et qui plus est dans un domaine encore
trop peu balisé par les sciences de l'éducation, plus à l'aise sur la
didactique des contenus que sur les modalités d'acquisition des comportements
sociaux...
Voilà pour
les difficultés théoriques de la notion : elles ne sont certes pas
insurmontables, mais, malgré le chemin accompli depuis, elles demandent encore
des réflexions, des recherches et une évolution générale de la pensée politique
et sociale pour être comprise dans toute son ampleur.
Conséquence pratique de la complexité théorique du concept, ses premiers
utilisateurs dans le domaine socio-éducatif se sont affrontés d’une part au
« sens commun », qui tendait à limiter strictement la notion à
l’exercice d’un droit de vote, d’autre part aux juristes, qui ne voyaient dans
la notion de « citoyenneté des mineurs » qu’une parfaite
contradiction de termes…
On peut
donc considérer comme hypothèse de travail que ces difficultés théoriques et
pratiques ont conduit directement à préférer par la suite la notion de
« Participation »
LE RECOURS A LA NOTION DE PARTICIPATION
La notion de participation s’est assez vite imposée en
France à partir des années 1990 dans les commentaires développés autour de la
Convention relative aux Droits de l’enfant : on a souvent dit que se
trouvaient dans ce texte fondamental des droits relatifs aux trois
« P » : protection, prestation, participation.
Autre facteur, qui a concouru à imposer un peu plus le terme
de participation : la dimension internationale du débat sur les droits de
l’enfant, qui a émergé suite à l’adoption de la Convention par l’Assemblée
générale des Nations Unies. Comme en de nombreux autres domaines scientifiques,
ce débat est largement dominé par les recherches éducatives anglo-américaines…
qui utilisent ce même terme de « participation », alors que le
concept de « citoyenneté » ne se traduit pas aussi facilement. Son
équivalent anglais (« citizenship ») s’applique en effet quasi
uniquement au domaine politique et est plutôt l’équivalent pour nous de « nationalité »
dans son acception strictement juridique.
Pour
illustrer cette question, on peut se reporter à la bibliographie d’un éminent
spécialiste américain de la « participation » des enfants, Roger
Hart, Professeur à l’université de New-York et animateur du Groupe de recherche
sur l’environnement de l’enfant[6].
Si celui-ci a écrit de nombreux articles faisant appel à la
« participation » des enfants à la vie sociale dans de nombreux
domaines[7],
le terme de « citizenship » (citoyenneté) n’est utilisé par lui dans
ses recherches qu’à une seule reprise pour désigner l’état ultime de la
« participation »[8].
Pour Hart, l’objectif ultime de la participation est donc la
« citoyenneté », mais c’est bien les formes et les degrés de la
« participation » des enfants aux décisions qui les concernent – au
sens large du terme - qu’il étudie dans le détail.
Plus
facile à manier en tant que notion, plus concrète à observer en tant que
pratique, plus aisément traduisible, au moins en anglais[9],
la « participation » semble donc offrir un terrain de recherche et de
débats plus accessible que la « citoyenneté », même si elle lui est
liée. Tout comme la citoyenneté[10],
la « participation » est un exercice. Mais la
« participation » est sans doute moins ambitieuse, sans doute plus
« modulable » en fonction des lieux et des modes de participation. En
somme, la notion de « participation » permet d’approcher la notion de
« citoyenneté » en la rendant plus progressive, plus familière et
plus accessible à l’animateur, à l’enseignant, à l’éducateur en général…
Denis
QUEVA
[1] Selon la terminologie proposée par Pierre de Rosa dans sa périodisation de l’histoire des Francas ; voir Les Francas d’hier à demain, édition les Francas, novembre 1986
[2] On pourrait aussi montrer en quoi le programme « Citoyenneté des Mineurs » a permis de développer le programme « Place de l’enfant » - au moins dans sa première phase (1991-1994),et qu’il était aussi précurseur à ce titre, mais nous serions entraîné trop loin de l’objet de cet article…
[3] Voir Réussir numéro 7bis, enfant-citoyen et citoyen-enfant, Travaux du Conseil scientifique des Francas, 1989.
[4] Ibid., page 4
[5]
à elle seule, cette dernière composante, la composante psychologique, rend
le concept encore plus difficile, car elle signifie qu'il ne suffit pas de constater
la citoyenneté mais qu'il faut de plus que l'individu en ait conscience pour
qu'elle s'exerce véritablement !...
[6] Children’s Environments Research Group, Center for Human Environments, The Graduate School and University Center of the City University of New York, 33 West 42nd Street, Room 1405N, New York, NY 10036 ( adresse internet http://www.cuny.edu/)
[7] Voir par exemple l’article suivant : Children's participation in planning and design: theory, research and practice. In C. Weinstein and T. David (Eds.), Spaces for Children. Plenum, 1987.[la participation des enfants à la planification et à la conception (des espaces de jeux)],
[8]Dans le monumental article de référence pour notre sujet : Children's Participation: From Tokenism to Citizenship. for UNICEF Innocenti Essays, No. 4, UNICEF/International Child Development Centre, Florence, Italy, 1992.
[9] Mais on rencontrerait ses difficultés analogues à vouloir trouver des équivalents à peu près exacts de notre « citoyenneté » dans d’autres langues…
[10] Voir encore Réussir 7bis, pages 12 et 13